Dans les institutions françaises de l’Ancien régime (avant la Révolution française de 1789), la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) du système anglais n’existe pas.
C’est plutôt en deux sphères que se subdivise le pouvoir politique : l’administration civile et l’administration militaire. Au sommet, le roi de France incarne ces deux sphères.
En Nouvelle-France, le gouverneur est responsable du domaine militaire (diplomatie, armée) et l’intendant, après 1665, de l’administration civile (justice, police, finances).
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Le parlementarisme n’existe pas en Nouvelle-France. Ses « principaux habitants », autrement dit « l’élite », peuvent malgré tout se faire entendre des autorités coloniales et métropolitaines en élisant des « syndics ».
La première élection civile de la colonie a lieu le 21 juillet 1647. Jean Bourdon devient procureur-syndic de la communauté des habitants de Québec. D’autres syndics sont aussi élus à Trois-Rivières et à Montréal.
Le rôle des procureurs-syndics est mentionné à nouveau dans l’édit de création du Conseil souverain de 1663.
Le puissant ministre de la Marine sous Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, voit cependant d’un mauvais œil l’existence de ces élus. En 1673, il ordonne au gouverneur Louis Buade de Frontenac de « supprimer insensiblement le syndic qui présente des requêtes au nom de tous les habitants, étant bon que chacun parle pour soi, et que personne ne parle pour tous ». C’est chose faite en 16771.
Dans les faits, les principaux habitants de la colonie continuent de faire valoir leurs intérêts et leurs doléances par d’autres moyens.
De 1677 à 1712, au cours d’assemblées tenues à Québec, les notables se prononcent sur le prix du pain, sur l’établissement de chantiers à bois de chauffage, la garde des porcs, la boucherie, les poids et mesures, les pavés, le prix du blé, la construction d’une halle, les marchands de vin, les matelots, les aubergistes, les hôteliers, le prix du bœuf, les habitants, bref, pour décider de ce qui est le « plus avantageux pour le bien public ».
Ces « assemblées de police », comme on le disait alors, se tiennent également à Montréal.
De 1717 jusqu’à la Conquête en 1760, des élections sont à nouveau permises à Québec et à Montréal.
Chaque élection a pour but d’élire son « syndic des négociants », personnage par l’entremise duquel les principaux habitants peuvent s’exprimer librement sur les affaires économiques, politiques et militaires de la colonie.
Les syndics des négociants proposent aussi des mesures pour favoriser le commerce du castor, le commerce au détail, le cabotage, la construction de navires, la protection de la flotte marchande sur le fleuve et l’entretien des casernes militaires.
Un constat se dégage : seuls les principaux habitants participent à la vie politique en Nouvelle-France. Quant aux simples habitants, ils parviennent, lors de rares manifestations, à faire connaître leurs besoins et à faire entendre leurs plaintes aux autorités2.
Le roi intervient rarement dans l’administration coloniale de la Nouvelle-France. Il délègue à des gentilshommes le privilège de gouverner la colonie.
De France, Pierre Du Gua de Mons, lieutenant général du roi commandite la fondation de Québec en 1608 par son homme de confiance, Samuel de Champlain. Ce dernier reste en fonction à Québec jusqu'à son décès en 1635.
Peu à peu, les autorités métropolitaines améliorent la situation de la colonie : en 1620, construction du fort Saint-Louis et création d’un tribunal, en 1624, instauration du régime seigneurial et envoi d’adjoints pour seconder Champlain en 1625.
À partir de 1627, la Compagnie des Cent-Associés est chargée du développement de la colonie et nomme ceux qui vont la commander3.
Ce régime prend fin en 1663 : dès lors, c’est le pouvoir royal qui est responsable de l’administration de la Nouvelle-France jusqu’à la fin du Régime français.
Les relations entre la colonie et la France fonctionnent ainsi : le gouverneur et l’intendant de la Nouvelle-France envoient au ministre de la Marine de nombreuses correspondances sur l’état de la colonie et ses besoins, financiers et militaires notamment.
Cette correspondance est traitée par des commis qui soulignent les points importants à l’attention du ministre, dont les décisions sont ensuite discutées au Conseil du roi.
Finalement, une fois l’an, le Conseil produit un « Mémoire du roi » à l’intention de la colonie qui énonce les politiques générales à suivre et les décisions du roi sur des questions particulières. À ce volumineux document, envoyé évidemment par bateau, se greffent de nombreuses dépêches dans lesquelles le ministre de la Marine précise les moindres détails.
Bien qu’en théorie le gouverneur et l’intendant soient de simples exécutants, ils ont une certaine latitude en raison de la distance séparant le Canada de la métropole et de l’hiver qui isole la colonie plus de 5 mois par année. Même s’ils sont responsables de leurs actes, les administrateurs coloniaux doivent bien souvent prendre rapidement des initiatives qui ne figurent pas dans le Mémoire du roi4.
La latitude du ministre de la Marine à l’égard des dirigeants de la Nouvelle-France s’explique facilement : l’intendant et le gouverneur sont souvent de proches parents du ministre ou des fonctionnaires depuis longtemps au service du roi5. Bien souvent, intendants et gouverneurs arrivent à inspirer au ministre la politique à suivre grâce à leur connaissance du terrain et à l’influence qu’ils exercent sur lui. Dans bien des cas, les directives de Versailles ont été suggérées par eux.
Personnages de grande influence, l’intendant et le gouverneur proposent la nomination de certains officiers – ceux du Conseil souverain par exemple – même si c’est le roi qui procède officiellement à leur nomination. Ils nomment leurs proches collaborateurs ou, encore, des « clients » qui exploitent avec eux la traite des fourrures.
Schéma de gouvernance pendant le Régime français
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Les premières explorations françaises en Amérique ont pour objectif officiel de répandre la foi catholique. En 1615, Samuel de Champlain amène avec lui 4 frères Récollets pour évangéliser les Autochtones.
Pour Champlain, leur présence contribue à faire de Québec plus qu’un simple poste de traite, car les missionnaires collaborent et l’appuient en exhortant les colons à respecter ses ordres. Très tôt, le clergé est consulté dans la direction des affaires coloniales.
En 1625, l’arrivée des Jésuites renforce la position de Champlain et de l’Église catholique romaine en Nouvelle-France.
Très vite, ils convainquent le cardinal de Richelieu, principal ministre du roi Louis XIII, de remplacer la compagnie du protestant Guillaume de Caen par la Compagnie des Cent-Associés pour exploiter et développer la colonie.
En 1635, à Québec, ils fondent un collège d’enseignement et patronnent l’établissement de l’école des Ursulines et de l’Hôtel-Dieu des Hospitalières (1639).
Jusque vers 1645, le clergé est le corps social le mieux constitué et le seul véritable élément dynamique de la colonie. Champlain et ses successeurs, détenteurs du pouvoir civil et militaire, ont tout intérêt à s’appuyer sur lui. Toutefois, dès le milieu du 17e siècle, ils chercheront à se distancer du pouvoir religieux.
Après 1663, le roi désire réduire par contre la trop grande autorité du pouvoir religieux dans la colonie. Des luttes opposent le clergé au pouvoir civil, chacun voulant occuper le sommet de la hiérarchie coloniale6.
L’arrivée en 1658 de François de Montmorency Laval, futur évêque de Québec, marque le début d’une ère de querelles avec le gouverneur Pierre Dubois Davaugour.
Les questions de préséance en sont un bon exemple : évêque et gouverneur se disputent les honneurs qui leur reviennent. Par exemple, le gouverneur s’assoit dans le chœur à l’église, l’évêque le fait déplacer ailleurs… Le gouverneur refusait que les soldats du château Saint-Louis s’agenouillent au cours des processions, l’évêque l’exige et insiste pour qu’ils se découvrent la tête…7
Les autorités civiles heurtent parfois le clergé par leurs décisions politiques. Par exemple, le gouverneur autorise la vente d’alcool aux Autochtones même si l’évêque déclare que c’est un péché mortel. L’intendant Jean Talon fait même construire une brasserie au nez de Mgr de Laval. Frontenac, quant à lui, fait fi de l’interdiction du clergé pour le théâtre et fait présenter des pièces de Molière, Corneille et Racine à son château. L’évêque menace le gouverneur de le priver de la confession et de l’absolution, ce à quoi le gouverneur réplique qu’il refusera de verser des fonds au clergé.
L’intendant Talon rapporte d’ailleurs au ministre Colbert que le pouvoir religieux tente effectivement d’empiéter sur les autres.
Avec le temps, le clergé est écarté de l’administration civile de la colonie et un certain équilibre s’instaure.
Un fait demeure cependant : en France, l’Église et l’État vivent en harmonie depuis des siècles et, partout dans le royaume, le catholicisme est la seule religion d’État.
Ainsi, en Nouvelle-France, l’État paie l’entretien des églises et maintient les curés dans les paroisses. L’administration coloniale veille également à ce que les habitants paient leur dîme et légifère contre le blasphème.
En retour, le clergé prêche dans la population l’obéissance et la soumission aux autorités supérieures. Quand vient le temps d’aller en guerre, il encourage les habitants à défendre le territoire contre les Anglais protestants. L’Église canadienne s’occupe de plus de l’éducation des enfants, de soigner les malades et de secourir les miséreux.
Avec le temps, les pouvoirs civil et religieux se soutiennent et l’Église canadienne exerce ses activités sous l’autorité de la monarchie et de ses représentants.
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Au moment où les Européens découvrent le Nouveau Monde, les Autochtones occupent le territoire depuis très longtemps8. Ils y vivent en petits groupes familiaux ou en sociétés organisées, chacune ayant sa culture, sa langue et ses croyances.
En 1603, près de Tadoussac, Samuel de Champlain fraternise avec les Montagnais, les Etchemins et les Algonquins. C’est la première alliance économique et militaire formelle entre Autochtones et Français.
Six ans plus tard, contre les Iroquois, Champlain prête main-forte à ses nouveaux alliés, auxquels se sont joints les Hurons. Par ce choix, il veut assurer la sécurité de la nouvelle colonie et favoriser les échanges commerciaux.
Sur ce plan, les Autochtones troquent avec les Français des objets convoités en retour de fourrures. Grâce à leur connaissance du territoire, les Autochtones aident les colons français à s’adapter à la rigueur du climat et à tirer profit de la nature. Les habitants de la Nouvelle-France adoptent également certains modes de vie autochtones, des habillements ainsi que diverses tactiques militaires.
En définitive, les contacts avec les Européens bouleversent le mode de vie des Autochtones et leur rapport avec leur environnement. Les nombreux missionnaires qui tentent de les évangéliser et de les sédentariser en sont un bon exemple. Malgré ces changements majeurs, ils parviennent à préserver plusieurs coutumes et traditions9.
L’alliance établie par les Français en 1603 a de grandes répercussions tout au long du 17e siècle. Paix et guerre se succèdent. Les Iroquois harcèlent les colons français lors de raids meurtriers et dispersent les nations huronnes en 1649-1650. Les autorités de la Nouvelle-Hollande, voisine des Iroquois, encouragent ces derniers à lancer des attaques contre la Nouvelle-France.
À partir de l’arrivée du régiment de Carignan-Salières en 1665, les autorités de la Nouvelle-France ripostent par des expéditions militaires contre les Iroquois. Deux ans après, une première paix est conclue.
En 1701, la Grande Paix de Montréal réunit les autorités coloniales et une trentaine de nations autochtones– dont 4 des 5 nations iroquoises. Un traité met fin au conflit franco-iroquois et permet à la Nouvelle-France l’accès à d’immenses territoires de traite dans le bassin des Grands Lacs et la vallée de l’Ohio.
C’est en grande partie grâce aux alliances commerciales et militaires avec les Autochtones que la Nouvelle-France, faiblement peuplée, résiste aux colonies britanniques jusqu’à la Conquête.
Plutôt que par la force ou l’exclusion, les autorités coloniales françaises veillent à maintenir l’équilibre grâce à de nombreux traités de paix et d'amitié. Sur les terres « découvertes » par les Européens, les Autochtones jouent un rôle politique majeur10.
Il y aura pendant longtemps de nombreux échanges de cadeaux entre les nations autochtones et l’autorité coloniale. Les gouverneurs de la Nouvelle-France observent généralement les coutumes autochtones pour faciliter les échanges diplomatiques lors de ces rencontres qui, bien souvent, ont lieu à Québec, au Château Saint-Louis11.
1 Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Publications du Québec, 2008, p. 77.
2 Christian Blais, « La représentation en Nouvelle-France », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, no 1, automne 2009, p. 51-75.
3 C. Blais et al., op. cit., p. 37-38.
4 Ibid., p. 37-39, 63.
5 Ibid., p. 63.
6 Cette section est un résumé de Ibid., p. 92-105.
7 Ibid., p. 96.
8 Au Québec, le terme Autochtones désigne et les Inuits et les Amérindiens. L’appellation Premières Nations ne désigne que les Amérindiens. Le terme Indiens, quant à lui, n’est utilisé que dans le contexte de la Loi sur les Indiens. Secrétariat aux affaires autochtones, Amérindiens et Inuits. Portrait des nations autochtones du Québec, 2e éd., Québec, Direction des communications du ministère du Conseil exécutif, 2011, p. 4.
9 Ibid., p. 6.
10 Pierre Lepage, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, 2e éd., Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2009, p. 4.
11 C. Blais et al., op. cit., p. 60.